On donnera à celui qui a; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. (Luc 19, 26)

DES PAROLES QUI RESTENT EN TRAVERS DE LA GORGE EN CETTE FIN D’ANNEE LITURGIQUE.

Déjà dimanche dernier (33e dimanche dans l’année A : https://www.aelf.org/2023-11-19/romain/messe) et aujourd’hui encore, certaines paroles du Christ sont difficiles à interpréter. J’ignore si beaucoup se sont risqués à les commenter tant elles semblent contredire l’insistance de Jésus sur la miséricorde du Père ou son propre désir de sauver tous les hommes. Mais nous ne pouvons pas éluder ces phrases qui paraissent choquantes comme on repousse au bord de l’assiette les morceaux les moins agréables.

Au point de départ, rappelons que tout est don de Dieu. Ce que chacun reçoit, il n’en est pas propriétaire. Il n’en est que le dépositaire (pour le compte de Dieu).

A l’arrivée, tout est encore don de Dieu, largesse et profusion de Dieu, démesure divine. La récompense est sans mesure, disproportionnée au regard des services rendus. Une ville pour une mine (une pièce d’or!). La récompense n’est pas octroyée pour enrichir l’homme. Il reçoit comme remerciement de Dieu de nouvelles responsabilités. Une participation encore plus active à l’oeuvre du Salut. Celui qui a reçoit encore. Celui qui a fait fructifier les dons de Dieu en reçoit d’autres, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Et l’autre? me direz-vous… celui qui n’a reçu qu’une pièce d’or? Pourquoi lui retire-t-on sa pièce d’or? A vrai dire, on ne lui retire rien du tout. C’est l’homme qui restitue sa pièce. Intacte, sans avoir rien fait pour la faire valoir. « Voilà ta pièce! ». Il n’a pas décuplé, il n’a pas quintuplé le dépôt. Il n’a même pas cherché à le placer à la banque. Il a rendu stérile le don du roi. Et le roi, simplement, en tire la conclusion: « Cet homme n’a pas voulu de ma pièce. Il a pris mon cadeau comme un fardeau. Qu’il reprenne sa liberté s’il ne veut pas la mettre à mon service! »

Dimanche dernier, la liturgie nous donnait à entendre l’Evangile des Talents. Et là, même logique que pour aujourd’hui. Je reprends à mon compte cette image de Raoul Follereau: «Tu vois, Seigneur, j’ai obéi à ta loi, je n’ai rien fait de malhonnête, de mauvais, d’impie. Mes mains sont propres…» – «Sans doute, répondit le Seigneur, sans doute, mais tes mains, elles sont vides! En fait, tu n’as rien fait, tu n’as rien risqué, rien produit». Dans la parabole des talents, Jésus nous rappelle qu’il n’existe pas de véritable foi chrétienne sans engagement et sans risque. Il faut parfois nous salir les mains. Cette parabole nous invite à utiliser le mieux possible, les talents que nous avons reçus au bénéfice des gens autour de nous. Il ne faudrait pas arriver à la fin de notre vie et dire au Seigneur : « Voilà je te remets le coeur que tu m’as donné, je l’ai très peu utilisé afin de ne pas faire d’erreur. La fantaisie que tu m’as confiée, je te la rends comme tu me l’as donnée. Elle  est presque neuve, elle n’a jamais servi ». Le jugement portera sur les fruits que nous aurons produits : «Je vous ai choisis pour que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure».

Ce que vous aurez fait aux plus petits … c’est à moi que vous l’aurez fait.

C’est ce que nous entendrons dimanche, pour le dernier dimanche de l’année liturgique. Le tableau final en Matthieu 25. Jean Chrysostome fait remarquer avec beaucoup de finesse que le Seigneur demande des gestes bien modestes. Il n’est pas dit que celui qui a faim est rassasié, que celui qui est malade est guéri, que celui qui est en prison est libéré. Ce qui compte, c’est de faire quelque chose, si petite soit l’action accomplie. Dieu n’attend pas de nous des choses extraordinaires. Il nous demande d’accomplir des gestes ordinaires avec amour. En cette fête du Christ-Roi, il nous est rappelé que nous serons jugés sur l’amour et exclusivement sur l’amour. Il s’agit d’un amour très simple : donner à manger, à boire, accueillir, habiller, visiter, soigner. Ainsi, nos plus humbles gestes d’amour ont une valeur infinie, une valeur d’éternité.

Puissions nous entendre le Christ nous dire un jour: «C’est bien serviteur bon et fidèle. Entre dans la joie de ton Seigneur».