Réflexion sur le deuxième dimanche de Carême de l’année C

Les lectures du dimanche:

https://www.aelf.org/2022-03-13/romain/messe

Accablés de sommeil, les apôtres s’endorment. À leur réveil, ils voient Jésus en prière, le corps baigné de lumière. Ils sont réveillés par la lumière, puis par la voix de Dieu lui-même qui leur dit : « celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé. » Le réveil est brutal ; pour la première fois ils prennent pleine conscience de la divinité du Christ. Pourtant, quelques jours plus tôt, Pierre venait de confesser Jésus comme Messie. Mais à présent, ils comprennent que celui auprès duquel ils ont marché pendant des années est le Fils de Dieu. Comment ont-il pu y rester aveugles ? Ils pensaient être les disciples d’un rabbi un peu plus doué que les autres. Ils aimaient les valeurs qu’il prêchait. Ils croyaient même qu’il était le messie, mais aujourd’hui ils réalisent qu’ils marchent en présence de Dieu lui-même, et ils ont peur. Comment ont-il pu rester aveugles si longtemps ? Nous, nous connaissons ce texte de l’Évangile qui nous dévoile la fin de l’histoire, mais finalement, valons-nous mieux que les apôtres ? Je ne crois pas, et j’ai ma petite théorie sur ce qui nous empêche de voir la lumière de Dieu en toutes choses. Il me semble que nous portons des lunettes spirituelles.

Prenez une paire de lunettes de soleil. C’est un accessoire que l’on porte rarement. Mais certains en font un usage excessif. Certes, les lunettes de soleil peuvent avoir une utilité réelle : elles protègent nos yeux du soleil. Mais elles peuvent aussi servir à retenir savamment une mèche. Elles peuvent se percher avec affectation sur une permanente. Ce n’est pas tout, un lendemain de veille, elles servent aussi à cacher une nuit trop agitée et des yeux imbibés d’alcool. Surtout, elles peuvent nous soustraire au regard des autres ; elles peuvent faire en sorte que nous les voyions sans qu’ils puissent nous voir. Elles nous permettent de reconnaître les autres tout en demeurant incognito. Nous n’aimons pas parler à quelqu’un qui garde ses lunettes noires sur le nez, parce que nous ne pouvons pas voir ses yeux. Il ne nous donne aucun accès à son âme, à ses émotions. Il est bien d’autres usages encore qui font que les lunettes de soleil symbolisent parfaitement tous nos efforts pour nous dissimuler au regard de l’autre. Même sans lunettes de soleil, quand nous parlons aux autres, nous nous montrons rarement tels que nous sommes. Nous nous dissimulons derrière des apparences, derrière un rire, derrière des mots… que sais-je encore ? Ce n’est pas du mensonge, ce n’est pas très grave, ce n’est souvent qu’une façon de se protéger de leur regard. Mais le problème, c’est que nous gardons de telles lunettes lorsque nous nous adressons à Dieu, et nous ne voyons pas qu’il est tout amour, car son amour nous fait honte. Comme le dit l’Évangile : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises ; en effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres soient démasquées. » (Jn 3,19-20).

Ce sont nos peurs, notre orgueil, nos dissimulations qui nous empêchent de voir Dieu tel qu’il est. Nous vivons comme des chauve-souris en plein soleil, aveuglés par Dieu. Notre orgueil, nos dissimulations et nos fautes ont obscurci notre regard. 

Souvent les Pères de l’Eglise affirment que la lumière vue par les apôtres lors de la Transfiguration appartient à Dieu par nature. Le Christ, lors de sa vie terrestre, a toujours resplendi de la lumière divine, mais cette lumière est restée invisible pour tous, sauf en ce moment où il choisit de la montrer. La Transfiguration ne fut pas un phénomène circonscrit dans le temps. Jésus a toujours resplendi de la lumière divine : aucun changement ne survint pour lui à ce moment, même en sa nature humaine, mais un changement se produisit dans l’esprit des apôtres. Leurs yeux enténébrés s’ouvrirent dans la prière et ils furent capables de le voir tel qu’il est pour un moment, resplendissant de la lumière éternelle de la divinité. 

Cet évangile est une invitation à la prière… et combien d’entre nous, lorsqu’ils prient, cessent de parler, cessent de lire, cessent de penser et de se soucier pour écouter. Ecouter jusqu’au moment où l’on n’entend même plus, dans ses oreilles, battre son pouls ; écouter jusqu’à ne plus entendre l’air entrer et sortir de ses poumons ; écouter jusqu’au moment où les images et les souvenirs cessent de danser derrière nos paupières… jusqu’au moment où l’Esprit Saint peut venir mettre en nos cœurs des mots auxquels on n’a pas pensé. Est-ce que nous faisons seulement l’effort d’attendre le Seigneur jusqu’à ce qu’il réponde et parle ? Si mon cœur est en paix, si je me montre au Seigneur sans dissimulation (sans lunettes) tel que je suis vraiment, si je fais taire en moi le tumulte de mes désirs, de mes souvenirs, de mes pensées… et si je me tiens seul face à lui, je peux savoir qu’il y a une puissance infinie et aimante opérant partout dans le monde. Il y a une force invisible qui se manifeste de mille et une façons parfois en œuvres d’amour et de guérison, parfois en manifestations de beauté ou d’énergie pure et simple. Que Dieu lui-même nous donne de le prier de la sorte.