Homélie du 4e dimanche du temps ordinaire (C)

Les textes du dimanche:

https://www.aelf.org/2022-01-30/romain/messe

Méditation sur l’épître de saint Paul : 1 Co 12, 31 – 13, 13 (Hymne à la Charité)

Avec la campagne politique qui bat son plein en France, on entend beaucoup de brillants discours mais qui, finalement, sonnent creux. On entend aussi des hommes et des femmes en quête de pouvoir qui tombent dans le piège de la violence.

Si l’on s’aperçoit que son adversaire est supérieur et qu’on va perdre la partie, que l’on prenne un ton personnel, offensant, grossier. Devenir personnel, cela consiste à passer de l’objet du débat (puisqu’on a perdu la partie) au contradicteur lui-même, et à s’en prendre à sa personne. […] Lorsque l’insulteur a été grossier, il faut être encore plus grossier. Si les invectives ne font plus d’effet, il faut y aller à bras raccourcis, mais, là aussi, il y a une gradation pour sauver l’honneur : les gifles se soignent par des coups de bâton, ceux-ci par des coups de cravache.’

Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison

Quel malaise devant ces personnes qui vocifèrent et prennent en otage la démocratie…

Je suis de ceux qui ne désespère pas de voir la cohérence entre le discours et les actes. Nous avons soif de témoins qui vivent en accord avec ce qu’ils disent. Saint Paul, dans son épître aux Corinthiens, nous questionne justement sur la vérité de nos vies, sur la justesse de nos relations. Il s’adresse à des chrétiens profondément divisés.

Chacun se veut meilleur chrétien que l’autre, sous prétexte qu’il aurait reçu tel don supérieur. Paul commence par les remettre à leur place : « Il y a diversité de dons mais c’est toujours le même Esprit. » Comprenez : vous n’êtes pour rien dans les dons qui se déploient en vous, justement parce qu’ils vous sont donnés gratuitement par Dieu. Vous n’avez pas à vous approprier la grâce de Dieu. Aujourd’hui, Paul enfonce encore le clou : « J’aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. » Paul établit une hiérarchie des valeurs.

Ce qui fait le socle de notre vie chrétienne et ce qui en est la manifestation. Le socle de notre vie chrétienne, ce par rapport à quoi tout le reste peut être mesuré, c’est l’amour que nous avons les uns par rapport aux autres. Paul n’évoque pas ici un amour désincarné, encore moins le coup de foudre. La qualité de notre vie chrétienne se mesure à la qualité de nos relations entre frères et sœurs, qui se construisent au jour le jour, dans la patience et le don de soi.

A quoi servent tous vos charismes, nous dit Paul, si vous n’êtes pas capables de vous entendre ? Comment une communauté divisée pourrait-elle être témoin du Dieu Amour ? Alors que nous pourrions entendre ce texte comme une leçon de morale, Paul tourne notre regard vers l’Amour, avec un grand A. « L’amour prend patience. L’amour rend service… »

Je vous invite à remplacer le mot « amour » par « Dieu ». Il apparaît alors que ces versets sont une méditation sur notre Dieu qui n’est qu’amour. « Dieu est patience. » Je suis profondément touché par la patience de Dieu qui marche à notre pas, qui respecte nos avancées et nos reculs et qui continue toujours à espérer en nous, en notre capacité à nous relever, à saisir la main qu’il nous tend. « Dieu supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. »

Là, je contemple la manière dont Jésus a vécu ses relations. Sans jamais juger, il ouvre un avenir possible : « Personne ne te condamne ; va, et ne pèche plus ! » Jésus illustre par sa vie donnée cette invitation qu’il nous adresse : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Reprenez, dans les jours qui viennent, tous ces attributs de Dieu dans la prière. Comment en avez-vous fait l’expérience concrète dans votre vie ?

Si Paul nous invite à contempler l’Amour, c’est parce que nous sommes appelés à devenir chaque jour davantage Celui que nous contemplons. Jésus nous redit sans cesse : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Le mot le plus important de cette phrase, c’est « comme ». L’amour est tellement défiguré aujourd’hui qu’il nous faut sans cesse revenir à Celui qui est la source de tout amour, le Christ. Lui seul peut nous apprendre ce qu’est le véritable amour. Et il ne le fait pas dans des discours. Il se met à genoux pour nous laver les pieds. Et il nous dit : « Faites de même. »

A chaque Eucharistie, durant la consécration, le prêtre dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » Jésus ne dit pas seulement, et pas d’abord, de refaire le geste du partage du pain. Il nous invite à livrer notre vie pour les autres, à le suivre jusqu’au don de nous-mêmes.

Et lorsque nous disons AMEN en recevant la communion, ce n’est pas un merci poli. Je reçois ce pain comme un ferment de communion avec Dieu et avec les autres. Dire Amen, c’est dire : Jésus, je veux m’engager à ta suite, par la force de ton amour. A mon tour, je veux faire de ma vie un « Je t’aime » !

Nous avons le vertige lorsque nous réalisons l’écart entre l’invitation de Jésus à aimer comme lui et ce que nous sommes. Heureusement, nous ne sommes pas laissés à nos seules forces. Jésus nous a transmis son Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Je vous invite aujourd’hui à prendre conscience de la beauté de ce que nous sommes. Dieu a déposé en chacun de nous une immense force. C’est elle qui nous rend capable de commencer à aimer. Un amour qui s’éprouve et se vérifie dans nos relations les plus quotidiennes, les plus concrètes. Alors peut-être dira-t-on un jour en nous voyant : « Voyez comme ils s’aiment. D’où vient donc cet amour qui les anime ? »