Changer les mentalités

Homélie du 29e dimanche dans l’année B

Pour lire les textes de ce dimanche:

https://www.aelf.org/2021-10-17/romain/messe

Quand on a lutté toute sa vie pour être honnête, quand on a respecté la religion, le bien d’autrui et la morale, quand on a essayé de construire un ménage régulier ou une vie vouée au service d’autrui, et quand on voit tous ceux qui ne pratiquent plus ou qui vivent insouciants, indifférents, voire malhonnêtes et qu’ils réussissent, comment ne pas attendre, au jugement dernier, une place d’honneur ?

Quand on vit dans un monde où il faut s’imposer en étant un « battant », où il faut réussir et gagner, comment ne pas souhaiter une Eglise qui gagne aussi, des chrétiens qui imposent leurs idées et qui ont du succès, et un Dieu qui triomphe, punit ou récompense, et qui donne, en finale, des places d’honneurs aux méritants pour rétablir une certaine justice…

Les grands de ce monde, nous répond Jésus, font sentir leur pouvoir ou leurs privilèges mais dans vos communautés, qu’il n’en soit pas ainsi. Un jour, il ajoutera « celui qui veut être grand, sera votre serviteur. » Il s’était mis à genoux pour leur laver les pieds. « Désormais faites ceci en mémoire de moi » Etre accroché à la place d’honneur, c’est être accroché à la croix. Il ne s’agit pas de faire payer le méchant, le mauvais, le coupable. Il s’agit de payer de sa personne pour eux, de les sauver en les aimant.

Quand Marc écrit ce texte en 44, Jacques a déjà été décapité. Aussi, interpelle-t-il peut-être les chefs d’Eglise pour leur dire de n’abuser jamais du pouvoir, de quelque pouvoir que ce soit. C’est toujours d’actualité. Mais peut-être veut-il aussi dire à ses contemporains et à chaque croyant aujourd’hui que chaque fois que nous lèverons les yeux vers le Royaume et vers le Seigneur, nous verrons toujours deux pauvres gars, l’un à droite, l’autre à gauche, et lui, Jésus, au milieu d’eux.

Notons que les termes employés pour « gauche » comportent un enseignement. Notre mentalité habituelle classe les gens en bons, à droite, et en mauvais, à gauche. Que la droite soit bonne, c’est assez clair. C’était le côté de l’Orient, du soleil levant. Quant à la gauche, la voilà réhabilitée. Elle est excellente et bien nommée par Jésus car elle représente la mentalité humble et pauvre de la nouvelle Révélation.

Dans la Nouvelle Alliance, l’amour est allié à l’humilité, la sainteté à la faiblesse, la ferveur au doute. Jésus n’avait-il pas envoyé ses disciples par deux ! Dans l’ordre du Royaume voulu par Jésus, il n’y a ni supériorité, ni marginalité.

Avant de terminer, il y a lieu de mettre en garde contre l’indignation des autres apôtres face à la revendication de Jacques et Jean. Une telle indignation est facile et nous la trouvons secrètement réconfortante. Elle est parfois un brevet de supériorité et de vertu que se décerne celui qui s’emporte contre la suffisance et l’orgueil d’autrui. Mais, est-on si certain de sa propre pureté d’intention lorsqu’on proteste ainsi contre tel arriviste qui a réussi en marchant sur les pieds des autres ? Cela ne pourrait-il pas cacher une secrète jalousie, un dépit de n’avoir pas réussi soi-même ou une crainte de voir entamer ses propres privilèges ?

Que de fois, comme Jacques et Jean, ne profitons-nous pas de nos « relations » pour faire pression, obtenir quelque avantage ou succès ! Que de fois ne cherchons-nous pas, dans nos églises ou nos communautés, des assurances sur les évolutions des temps ! Que de fois n’avançons-nous pas en déviant du chemin ! Comme Jacques et Jean, nous sommes prêts à payer de notre personne, à boire à la coupe de déréliction, mais à condition que vienne la coupe de bénédiction, à condition d’être reconnus et appréciés. Jésus interpelle toutes les formes de pouvoir et de pression. Ils sont nécessaires mais doivent servir et ne pas abuser de leurs privilèges. C’est du moins ce que doivent faire les disciples car parmi eux, il n’est ni carrière, ni galons ni titres.

Le Royaume n’est pas à prendre. Il est donné. S’il est à prendre de haute lutte, c’est à la force de l’amour. Nos titres ou nos médailles, nos qualités, ministères ou compétences ne sont rien si nous ne vivons pas de l’amour- service. Nous ne sommes pas là pour être servis mais pour donner humblement vie. La gloire est celle de la croix, c’est à dire de l’amour souffrant, caché, pardonnant.

Vouloir la belle réussite de ses propres projets et la réussite fécondante du Royaume est une oeuvre exigeante d’amour et de fidélité. C’est la vie donnée du Serviteur souffrant. A la croix, encadrant Jésus, il y a deux brigands, à droite et à gauche. Mais ici, plus question d’honneur ou de récompense. Il est question de solidarité à travers la souffrance et le trépas. Tout l’Evangile est là : pour vouloir tout réussir, accepter de tout perdre, pour tout retrouver un jour, en perfection, dans l’amour, éternellement. Soyons fidèles à l’esprit quotidien qui nous anime, comme nous tentons cette fidélité à la grâce du Seigneur qui nous est quotidiennement livrée et que nous reprenons chaque matin ou chaque soir, avec espoir, comme en cette eucharistie.

A l’heure de la réception du rapport de la CIASE sur les abus sexuels perpétrés dans l’Eglise catholique, je trouve que la réponse de Mgr Ravel est la plus pertinente à ce jour. Beaucoup d’autres prises de paroles sont pleines de victimisation. En Belgique aussi, lorsque les faits ont été révélés, nous n’avions pas été bons du premier coup. Il faut du temps pour se rendre compte de l’impact et l’humilité de se faire conseiller par les autorités civiles. Aujourd’hui, nous pouvons être fiers de la manière avec laquelle les victimes ont été reconnues et indemnisées. Mgr Ravel est sur la bonne voie. Un lieu plus modeste pour l’interview aurait été vraiment plus judicieux mais puisse-t-il au-loins être entendu par ses frères évêques. C’est une exigence de l’Evangile de ce dimanche.

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