La CIASE, commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise de France a publié aujourd’hui son rapport après plus de deux ans et demi de travaux. L’Eglise de France a enfin eu le courage d’affronter ce qui ne lui est pas propre: des abus commis par le clergé et autres acteurs pastoraux (profs, animateurs de mouvements de jeunesse, etc…). En Belgique, coachés par les instances politiques, nos évêques et supérieurs d’instituts religieux ont pris les mesures proportionnées au drame vécu par les victimes il y a dix ans. La fille ainée de l’Eglise a longtemps cru pouvoir faire exception. Les effets de ce voilement de face auront des effets bien plus destructeurs que si les victimes avaient eu le sentiment d’être écoutées. Car même si on s’en doutait, les chiffres sont écoeurants car derrière les statistiques, il y a des récits humains.
Ce que nous disons c’est que l’Église catholique dans son ensemble n’a pas réussi à voir et à entendre les signaux faibles émis par les victimes
Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase
Ne tombons pas dans le piège de dire que cela se passe ailleurs. C’est horrible mais on s’en fou que cela se passe ailleurs. Nous n’avons pas de prise là-dessus. Cela se passe dans l’Eglise. C’est grave. La circonstance aggravante est qu’il y avait souvent un abus d’autorité sur les victimes. J’ai déjà évoqué les abus spirituels dans l’Eglise. Ils sont souvent le nid d’autres abus dont les abus sexuels. Relisez la page du blog:
Autre piège à éviter: la spiritualisation de la situation (La vérité vous rendra libre). On entend déjà: « La crise que l’Eglise de France va traverser sera l’occasion d’une purification qui va tendre vers plus de sainteté ». Je me méfie de cela car les hérauts de ce genre d’argumentation sont les mêmes qui profitent d’une cléricalisation à outrance de leur ministère. On idéalise trop le clergé. Nous restons des hommes.
Il faudra donc plus que des excuses, même si elles sont courageuses et ont l’air sincères.
« Nous implorons de Dieu sa grâce, c’est-à-dire sa consolation et sa force, pour que nous puissions laisser la lumière pénétrer les zones les plus obscures. Que jamais nous ne renoncions à la clarté. Que jamais nous ne nous résignions à l’ambiguïté. Nous travaillerons, en lien avec l’Église universelle, notre théologie du sacerdoce baptismal et du sacerdoce apostolique. Nous voulons encore et toujours servir le Christ en son sacrifice : il a donné sa vie pour ouvrir l’espérance que le mal et la violence ne l’emporteront pas au terme de l’histoire et que les petits et les oubliés de l’histoire seront les premiers dans la lumière »
Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France
Il n’empêche, les mots « honte » et « compassion » ne sont pas suffisants.
Le résumé du rapport est accessible en cliquant sur le lien:
https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf
Un recueil de témoignages courageux et désarmants est accessible en cliquant sur le lien:
La charge de M. François Deveaux, fondateur de l’association de victimes La Parole libérée (dissoute récemment) est dure. Elle est à la mesure de la souffrance des victimes même si certains propos ne sont pas corrects.
Le travail de la Commission est immense. Ses membres sont revenus de l’Enfer. Leur travail est colossal.
Encore faudra-t-il avoir l’humilité d’appliquer un maximum de recommandations de la Commission dont le principe de « justice restaurative », qui vise à permettre aux personnes victimes de reprendre possession de leur histoire en faisant la vérité sur ce qu’ils ont subi, à établir les responsabilités, et à réparer ce qui peut l’être.
Les recommandations:
216 000 mineurs ont été sexuellement agressés par un diacre, un prêtre ou un religieux entre 1950 et 2020 et 330 000 en ajoutant les laïcs, bénévoles ou salariés missionnés par l’Église. Le rapport conclut, au regard de ces chiffres, que l’Église n’a pas été en « capacité de voir et d’entendre ni de protéger les enfants ». Qu’elle a notamment laissé ordonner des hommes qui choisissaient la prêtrise pour assouvir leurs pulsions. Elle doit, selon la Ciase, reconnaître sa responsabilité de « nature systémique dans le passé ».
Reconnaître la qualité de victime et indemniser
Elle doit également, par l’intermédiaire d’une instance indépendante, reconnaître ou pas la qualité de victime. Première étape avant de fixer une indemnisation correspondant à la réparation d’un préjudice. Cette réparation ne peut pas être forfaitaire estime la Ciase.
Pas d’imprescriptibilité des crimes et délits en matière sexuelle
Les membres de la commission soulignent que les règles du Code civil doivent s’appliquer pour les infractions qui ne sont pas prescrites. En revanche, ils ne proposent pas l’imprescriptibilité des crimes et délits en matière sexuelle. Ils ont passé en revue tout ce qui peut conduire à des abus d’autorité et à des perversions favorisant l’emprise, la domination, et donc l’abus sexuel : abus du sacré, abus spirituel, dévoiement du principe d’obéissance. Ce que le Pape François a nommé des « abus spirituels » et « de pouvoir ».
Le secret de la confession ne peut être opposé
Loin de vouloir abolir le secret de la confession, la commission considère que la personne qui reçoit en confession des informations sur des mauvais traitements sur enfants ou des personnes vulnérables doit, en application du Code pénal, les signaler aux autorités judiciaires et administratives. Elle considère que la loi de la République doit primer et que le secret de la confession ne peut pas, dans ce seul cas, lui être opposé.
Prendre en compte les atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne
La morale sexuelle de l’Église catholique situe presque au même niveau de gravité le viol, l’adultère et la masturbation. Un nivellement qui pose problème souligne le rapport. Les atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne « qui sont des œuvres de mort, c’est-à-dire des manquements au cinquième commandement “tu ne tueras point”, doivent être pris en compte par l’Église », estime la Ciase.
Une gouvernance plus ouverte
Au sujet de gouvernance de l’Église, la commission propose que les laïcs puissent accéder plus largement aux instances décisionnelles. Elle ne recommande pas l’abolition du célibat des prêtres, qui n’est pas identifié comme étant la cause des abus, et pas davantage l’ordination des femmes.
Mettre en place des plans de prévention
La commission suggère la mise en place des plans de prévention des risques et leur cartographie, sur le même modèle qu’en entreprise. En matière de signalement, le protocole qui a été passé à Paris, entre le procureur et l’archevêque constitue, d’après elle, un modèle en matière de signalement.
Un long chemin de pénitence s’ouvre pour l’Eglise de France. Il n’est rien au regard de la souffrance des victimes.
Et en Belgique, ça en est où?
Voici les contacts en cas d’abus:
Le point d’info central est joignable au 02 507 05 93 ou via email: info.abus@catho.be pour les francophones.