Les abus spirituels dans nos paroisses.

N’appelez personne votre Père sur la terre.

Evangile selon saint Mathieu 23, 9

Une prise de conscience

Force est de constater que le nombre de personnes reconnaissant avoir été victimes d’abus spirituels dans nos communautés ne fait qu’augmenter. Ce sujet est assez délicat. On commence à en parler… discrètement. Les évêques de France ont ce dossier sur leur table actuellement. Ils doivent réagir. La lutte contre la pédophilie ne peut pas évacuer cet autre combat. Les victimes attendent des gestes forts d’autant plus que les auteurs sont rarement punis.

On pense d’abord aux abus spirituels dans les communautés religieuses (dites « communautés nouvelles ») qui commettent leurs inévitables erreurs de jeunesse. La fougue et l’impression d’être les seuls détenteurs de LA vérité provoquent bien des maux. Il y a aussi des faits qui ont été reconnus dans des communautés plus anciennes. La sagesse leur a fait prendre de bonnes décisions, quoique tardives, souvent. Il y a aussi, dans certaines paroisses, une telle emprise des prêtres sur les laïcs que le risque d’abus n’est pas très loin. Et lorsque des paroisses sont confiées à des communautés, le risque est aussi bien présent. Les fidèles ont l’impression d’avoir été gâtés de bénéficier de la sainteté de tels ministres. Ils sont prêts à tout pour « leur rendre service » en remerciement de leur apostolat si fécond. Ils sont surtout instrumentalisés. Attention: danger.

Il y a fort à parier que ces mêmes ministres ont comme livre de chevet le très bon ouvrage de Dom Dysmas de Lassus, le prieur général de la Grande-Chartreuse (Risques et dérives de la vie religieuse, 2020, Éditions du Cerf, 448 p). Et ils se disent qu’ils sont prémunis de ces pratiques.

Heureusement, dans l’immense majorité des cas, les communautés sont saines et les choses se vivent simplement, sereinement, sous le regard de Dieu. Il y a aussi, beaucoup de sagesse, lorsqu’il faut prendre des mesures après un accident dont les dégâts peuvent être importants. C’est notamment le cas lorsqu’on cherche d’abord le bien des fidèles.

Une expérience au service d’une vigilance

Des supérieurs sont prêts à tout pour sauvegarder la réputation de la communauté ou de l’institution. Et c’est souvent au détriment du Peuple de Dieu et des vraies victimes surtout. Ces mêmes responsables aiment jouer aux victimes. Quand il s’agit de mettre dans la balance le bien de la communauté, sa réputation ou le bien des fidèles, le choix est vite fait.

Des exemples récents nous montrent que les responsables prennent de plus en plus les justes mesures pour éradiquer le mal. C’est une excellente chose (St-Jean, Foyers de Charité, Arche de Jean Vanier)

Mais il y a encore du travail dans bon nombre d’autres communautés. On cherche souvent peu la cause des catastrophes. Et quand les causes mettent en avant des dysfonctionnements des membres de la communauté (surtout de ses responsables), tous les coups sont permis.

Un « accident » est parfois, le résultat d’une réaction inadéquate à des formes d’abus. Cela peut revêtir différents aspects: refuser le regard pour le moins peu chaste d’un confrère homosexuel ou bien quand on se rend compte qu’un autre confrère entretient une relation inappropriée avec une mineure mais que la hiérarchie de la communauté ne bronche pas par peur du scandale… C’est celui qui dénonce qui devient objet de scandale car la proximité « entre les frères » nous fait partager des aspects de nos vies dont on est moins fiers et qui sont utilisés contre celui qui essaie de sortir d’un piège qui étouffe sa conscience. On mettra au pilori ce mouton noir en utilisant l’Ecriture: La Vérité vous rendra libre (Jn 8,32). Oui mais quelle vérité… car on se garde bien de faire toute la vérité.

Guy Corneau, écrivain canadien, a écrit: ”Lorsque nous mettons des mots sur les maux, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits“. Cela participe, comme la vérité, à la liberté.

Toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé n’est pas purement fortuite. Je l’ai expérimenté le jour où j’ai décidé de quitter une communauté à qui était confiée une paroisse. On ne m’a pas exclu pour des faits répréhensibles. On m’a exclu de la paroisse le jour où j’ai mis par écrit ma décision de quitter la communauté. Jusqu’alors, certes, le rapport de confiance s’était réduit mais la violence de la mise à l’écart n’était pas encore d’actualité. On a utilisé des infos que j’avais partagées et on les a bien manipulées. Comme on a manipulé les gens et on leur a fait croire n’importe quoi. Rien ne serait sorti si j’étais resté dans la communauté. En plus, c’est une communauté qui se disait d’abord diocésaine. Mais l’avis de l’évêque n’a pas été suivi. Où était le rapport d’obéissance avec le pasteur propre du diocèse ? Le lien de collaboration avec l’évêque était bafoué comme le reste au profit de la seule communauté sacerdotale. Et j’y étais entré parce qu’elle se disait d’abord diocésaine. Et quand il s’avère que la communauté considère que les problèmes liés aux moeurs ne sont pas si importants son silence devient complice.

Les prêtres et religieux, religieuses peuvent donc être victimes. Mais les paroissiens peuvent aussi être victimes. On peut évoquer plusieurs indices qui nous permettent de nous mettre en garde contre l’une ou l’autre forme d’abus.

Les Américains inspirent les pratiques pastorales renouvelées chez pas mal de jeunes prêtres. Il serait bon que les mêmes Américains soient écoutés lorsqu’ils mettent en avant des critères d’attention aux abus (Churche’s Child Protection Advisory Service).

Critères de prise de conscience de manipulations

Demandes déraisonnables concernant le temps et les finances.

  • Il est normal que les fidèles s’impliquent financièrement dans leur Eglise. Mais il n’est pas normal lorsque le regard des autres membres de la paroisse change parce que vous donnez plus ou moins que les autres. Combien de fois ne chouchoutons pas tels généreux donateurs et laissons sur le carreau des personnes aux revenus modestes qui ne peuvent participer plus qu’ils ne peuvent à l’entretien de leur clocher. IDEM pour le temps. J’ai pu constater que certains « paroissiens » passaient le plus clair de leur temps dans l’église pour se faire bien voir de leurs pasteurs. Ils étaient devenus corvéables à merci. Et le simple fait de dire non à une demande d’aide pouvait vous faire passer un temps plus ou moins long au purgatoire de la communauté. Et les services demandés sont rarement très gratifiants et souvent confiés aux femmes. Certes ces personnes vous diront qu’elles aiment rendre service. Mais où est l’équilibre dans tout cela?

Ne jamais remettre en question la voix des pasteurs.

  • J’ai pu voir et je ne suis pas le seul, que certains membres de la communauté étaient réduits au silence parce qu’ils avaient osé remettre en question la spiritualité ou la théologie du prêtre. Leur point de vue était tout simplement dénigré et souvent ridiculisé. Et je ne parle pas des abus liés à l’usage des charismes qui ne sont reconnus que lorsqu’ils approuvent ce que le pasteur entend faire vivre à sa communauté. Je reconnais les charismes dans l’Eglise mais lorsqu’ils sont utilisés par des gourous, la paroisse peut très vite tomber dans les pièges du sectarisme.

Nous détenons seuls LA vérité.

  • Pourquoi aller voir ailleurs? Méfiance vis-à-vis des pratiques suggérées dans d’autres milieux. Méfiance des autres paroisses dont le modèle s’éloigne trop du nôtre. De toute façon, c’est nous qui avons raison. Nos églises sont pleines. C’est donc qu’on est dans le bon. On va voir chez les Evangélistes ce qu’ils pourraient nous apporter dans nos pratiques pastorales mais attention, ne nous leurrons pas: l’œcuménisme s’arrête là. On aime le cocooning. On rêve même de petites communautés ou l’entre-soi est tellement rassurant. Il faut à tout prix que le monde extérieur ne contamine les âmes de « nos gens ». Si on pouvait éduquer nous-mêmes tous les aspects de notre jeunesse, nous serions plus forts pour affronter ce monde rempli de perversité. On oublie que Dieu aime ce monde dans lequel il a envoyé son Fils. L’homme est la route que l’Eglise doit prendre. On va même jusqu’à encourager telle lecture en dénigrant tel autre auteur jugé subversif. Le libre arbitre et la conscience ne sont qu’accessoires dans ce domaine. Nous pensons pour vous. Idem pour les conseils cinématographiques. Dès qu’on s’éloigne du modèle « la petite maison dans la prairie » ou qu’un film risque de provoquer un débat contradictoire: on tire le système d’alarme.

La famille : diviser pour mieux régner.

  • Heureusement, beaucoup de familles réussissent tant bien que mal à passer au travers des épreuves inhérentes aux vicissitudes de la vie. Malheureusement, cela n’est pas donné à toutes. Une épouse, un peu fascinée par le jeune pasteur vient s’épancher lors du sacrement de la réconciliation en extériorisant tout ce qu’elle reproche à son époux. Elle va sortir du confessionnal avec l’idée qu’il faut qu’elle se sépare de son mari si celui-ci est un obstacle entre elle et la paroisse. C’est en dépit du sacrement du mariage qu’on se fait fort de défendre. Mais c’est pour mieux l’utiliser dans la communauté une fois qu’elle sera libérée de son oppresseur. Combien font passer des époux et papas inconnus en pervers machiavéliques. Les murs de l’église peuvent donner l’impression de protéger des familles mais le résultat est plutôt qu’ils les séparent définitivement. C’est toujours le même travers : on se berce de l’illusion qu’on veut les sauver mais c’est souvent pour mieux avoir la main-mise sur les personnes et leur avenir. Quand les jeunes vont ouvrir les yeux, les dégâts seront importants. Et je ne parle même pas de la discrimination garçons/filles. On peut reconnaître une différence évidente mais à nouveau, sans l’exploiter à des fins peu avouables.

On préfère le leadership à l’accompagnement respectueux des personnes.

  • S’il est bien un mot que le Seigneur Jésus n’avait pas en bouche c’est le mot de « leader« . Même s’il avait parlé anglais, cela ne pouvait pas faire partie de son vocabulaire tant ce mot est contraire à la mission telle qu’elle est prônée dans les Ecritures. Ce leadership est souvent utilisé pour mettre le focus sur la personne du leader : le pasteur, en particulier, en manque de reconnaissance dans une société qui n’est plus chrétienne. On cherche à faire le buzz autour de sa personne. Bien sûr, notre mission relève du guidage et de l’inspiration mais toujours dans le respect des différences. Conduire les individus dans le but d’atteindre des objectifs c’est bien quand les objectifs sont réellement inspirés par l’Esprit-Saint. Mais quand ceux-ci sont pris en otage, cela relève de la manipulation. Espérons que cette recherche à tout prix de leadership fasse rapidement place à une sain(t)e pratique pastorale. Certes, l’Eglise a besoin de leadership mais cessons de faire croire aux bénévoles de nos paroisses qu’ils pourront devenir eux-mêmes leaders s’ils pensent différemment de l’unique leader. Combien d’Equipes pastorales ne sont consituées que d’amis du curé. Et chaque dissidence se voit sanctionnée par un non renouvellement du mandat. Vous avez dit bizarre?

Le primat de la conscience

Fort heureusement, ce que j’ai vécu n’est pas du tout représentatif de ce qui existe dans les paroisses en Belgique ou en France. Bien au contraire. Ce sont des épiphénomènes souvent liés à un retour du cléricalisme chez les jeunes prêtres donneurs de leçons. Mais cela existe. Restons vigilants… L’enfer est pavé de bonnes intentions. Je l’ai vécu et j’en ai souffert. La paroisse dans laquelle je suis inséré actuellement est à l’abri de ces déviances. C’est lié à la vigilance du curé et à la formation continue des consciences. Travaillons tous à l’éveil des consciences.

La conscience est le premier vicaire du Christ.

Newman