Réflexion du 7e dimanche de Pâques (année B) : Nous sommes chacun responsables de notre salut.

Lectures: https://www.aelf.org/2024-05-12/romain/messe

Judas

La 1ère lecture et l’évangile de ce dimanche parlent de Judas. Sans état d’âme. Ni de la part des Apôtres ni de la part de Jésus. Alors qu’on peut imaginer l’amitié qui les liait, les liens si forts qui s’étaient tissés au long de ces trois années passées, par tout ce qu’ils avaient vécu avec Jésus, trois années qui avaient changé leur vie et qui ont changé le cours de l’Histoire.

Dans la 1ère lecture, Pierre évoque Judas qui a « servi de guide aux gens qui ont arrêté Jésus » alors qu’il était « l’un de nous et (qu’il) avait reçu sa part de notre ministère » (Ac 1, 17).

Dans l’évangile, Jésus ne prononce pas son nom : « J’ai veillé sur eux, dit-il à son Père de ses disciples, et aucun ne s’est perdu sauf celui qui s’en va à sa perte » (Jn 17, 12). Cette traduction ‘aller à sa perte’ est un peu faible comparée à l’expression littérale de « fils de la perdition », l’opposé du Salut : nous serons sauvés ou nous serons perdus.

Pourquoi Jésus n’a-t-il pas sauvé Judas ? Pourquoi n’a-t-il pas envoyé un Ange l’empêcher de se donner la mort : Arrête, malheureux ! Tu signes ta propre condamnation !

Oui « Malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré : il aurait mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là » dit Jésus au Dernier repas et Judas fait l’innocent : « Rabbi, serait-ce moi ? » (Mt 26, 25).

Nos oeuvres suffisent-elles à notre salut?


Ne pensons pas que le bien que Judas a fait dans sa vie, le temps qu’il a passé avec Jésus suffise pour le sauver.
L’Ecriture, dans son enseignement sur la responsabilité personnelle, « Celui qui a péché, c’est lui qui mourra » (Ez 18, 4), insiste sur l’obligation de tenir bon, d’être fidèle à Dieu, jusqu’au bout, avertissant le Juste qui s’arrêterait en chemin : « s’il se détourne de sa justice, et qu’il commet le mal et meurt dans cet état, il mourra ! » (Ez 18, 26).
Ne pensons pas non plus que l’amitié des autres Apôtres suffise pour le sauver après sa mort. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a prié pour un assassin, Henri Pranzini, pour qu’il se convertisse avant de mourir, et il a embrassé le crucifix avant de monter à l’échafaud.

Peut-on être heureux au ciel en sachant que nos proches n’y sont peut-être pas?


C’est peut-être la question la plus difficile en matière de fins dernières, que celle du Salut de nos proches qui vivent comme si Dieu n’existait pas et comme si l’amour pouvait être à géométrie variable. La possibilité que des personnes que nous aimons persistent dans le mal au moment de leur mort et que nous ne les retrouvions jamais : qu’elles préfèrent se damner plutôt que de reconnaître leurs torts et de demander pardon. Le refus du pardon étant le péché contre l’Esprit.

Comment pourrons-nous être heureux, si nous-mêmes avons tenu bon et serons restés fidèles à l’amour de Dieu, si nous nous retrouvons dans la vie éternelle séparés de certains de ceux que nous aimons, de ces personnes qui font partie de nous, de notre vie, de notre chair, de notre histoire ?
Que se passera-t-il si des proches que nous aimons malgré leurs défauts, leur impiété, leurs désordres, leur égoïsme, préfèrent se damner que de se prosterner devant Dieu et demander pardon, ce dont nous savons d’expérience qu’elles sont rarement capables ?

Notre amour et nos prières suffiront-elles pour les sauver, malgré elles ?

Bien sûr que nous reprenons la prière du Christ : Père, pardonne-leur, elles ne savent pas ce qu’elles font ! Mais quand elles le sauront, quand elles sauront le mal qu’elles ont fait, qu’elles verront leurs fautes en pleine lumière, seront-elles capables de demander pardon, ou choisiront-elles comme Judas de se jeter dans le vide, je vous épargne la phrase de Pierre que la liturgie a délicatement écartée (« avec le salaire de l’injustice, il acheta un domaine ; il tomba la tête la première, son ventre éclata, et toutes ses entrailles se répandirent » Ac 1, 18).

Quelqu’un pourrait bien ressusciter d’entre les morts… ils ne se convertiront pas.



Que faire pour sauver ceux de nos proches qui risquent par leur obstination d’aller à leur perte ? Nos bonnes actions et nos prières suffiront-elles pour les convaincre ? Est-ce que si nous étions plus convaincants nous-mêmes elles se laisseraient fléchir ?

Vous vous souvenez de la réponse qui est faite au mauvais riche qui, se retrouvant aux enfers, supplie Abraham d’envoyer le pauvre Lazare prévenir ses frères pour qu’ils se convertissent, et “ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de torture” ? – « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus » (Lc 16, 31).

Je crains que ce soit une des purifications les plus douloureuses que nous aurons à vivre au Purgatoire : nous détacher de ces personnes que nous aurons aimées et qui auront fait le mal, auront fait souffrir les autres, auront refusé Dieu jusqu’à son pardon, et péché contre l’Esprit.

Maintenant, il nous faut élargir notre prière, comme le Christ, quand il dit ensuite qu’il « ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en [Lui] » (Jn 17, 20), de même qu’il dit qu’il a « d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos. Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10, 16).

Comprenons que c’est par notre fidélité dans notre service de Dieu que nous leur rendrons service et non par nos compromissions.

Quand Jésus dit que ses disciples n’appartiennent pas au monde, de quel monde parle-t-il ?


Ce monde dans lequel nous sommes, que nous n’avons ni le pouvoir ni la mission de changer, ce monde dans lequel le Christ nous envoie, comme le Père lui-même l’a envoyé (Jn 20, 21), avec la force de l’Esprit-Saint, pour témoigner de son amour, nous demandant de nous laisser purifier par sa Parole et son Esprit de Vérité tout en assumant nos responsabilités.

Comme l’enseignait saint Augustin dans une ‘synthèse saisissante’ :

Dieu, qui nous a créés sans nous, ne veut pas nous sauver sans nous.


Ce ‘nous’, ce pluriel est essentiel, qui correspond à la mission que Dieu nous confie. « Si je dis au méchant : “Tu vas mourir”, et que tu ne l’avertis pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang » (Ez 33, 8-9). « Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie ».

Chacun est responsable de son Salut et d’en avertir les autres.