Les textes du dimanche se trouvent ici:
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Heureux les malheureux?
Les Béatitudes de Luc ont quelque chose de provocant, d’un peu énervant.
A quatre reprises, Jésus dit : « Heureux êtes- vous ! », puis, quatre fois également : « Malheur pour vous ! » Arrêtons-nous sur ces interpellations. Et d’abord sur le mot « Heureux », rappelé à chaque béatitude.
C’est quand même incroyable qu’on puisse déclarer heureux ceux qui sont pauvres, affamés, tristes, insultés… Et l’on a pu, à juste titre, s’interroger : cette apparente glorification de la faiblesse. Cela ne va-t-il pas engendrer une religion masochiste, ennemie de ce qui fait la valeur et la joie de l’homme ? Comme si on nous disait « Heureux les malheureux ». Alors, certes, l’évangile laisse entendre que le sort va se renverser ; on ne dit pas quand, mais on peut penser que ce sera dans la « vie éternelle». On comprend que certains ont pu dénoncer les traces d’une religion opium du peuple : « contentez-vous de votre sort, vous vous rattraperez dans l’autre monde… »
Mais est-ce vraiment cela que le Christ est venu nous dire ? Non. Les Béatitudes nous parlent de bonheur. Et sans doute, y-a-t-il tout lieu d’être prudent quand ce mot est galvaudé un peu comme le mot ‘amour’. Ces mots font partie de ces termes que l’on hésite à prononcer parce qu’ils renvoient à ce qui paraît insaisissable et mystérieux.
Qu’est-ce que c’est qu’être heureux ? Nous aurions sans doute des réponses différentes. Mais en nous donnant ces Béatitudes, Jésus nous parle bien de l’essentiel, de ce que le cœur humain espère et attend. Mais reconnaissons-le, il le fait d’une manière déconcertante qui désarçonne.
Pourquoi donc « Malheureux, vous les riches ». Pas simplement par le fait qu’ils sont riches, car Jésus avait des amis parmi les gens fortunés : Matthieu, Zachée, Lazare, Marthe et Marie avaient des ressources. Malheureux pourquoi, alors ? « Parce que, dit Jésus, vous tenez déjà votre récompense ».
Est riche, pour Jésus, celui qui n’attend plus rien de Dieu parce qu’il a refermé les mains sur son avoir et qu’il a mis « toute sa consolation » dans une sécurité matérielle. Non, notre bonheur durable et profond ne passera jamais par l’accumulation des richesses (quelles qu’elles soient) mais par un coeur et des mains radicalement ouverts et en attente de ce que Dieu a à nous offrir.
Tu nous as fait pour toi Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi.
saint Augustin
Finalement, cet évangile nous ramène aux questions fondamentales:
- Qu’est-ce qui me rend heureux?
- Qu’est-ce que je cherche?
- Vers quoi se porte réellement mon désir?
La richesse peut prendre diverses formes:
On peut mettre au-dessus de tout sa compétence professionnelle, sa notoriété, sa force physique, ses relations, etc… et même ses vertus morales, sa « vie spirituelle », en laquelle on peut prétendre trouver sa sécurité. Et très vite, ce que que nous croyons posséder risque de devenir idole et remplacer pour nous le « Royaume de Dieu ».
A l’inverse, ce que le Christ nous dit de fondamental pour notre vie, c’est que le pauvre n’est pas d’abord celui qui a peu mais celui qui sait qu’il n’est propriétaire de rien. Et cela peut nous aider à considérer de manière un peu différente tout ce que à quoi nous pouvons aspirer légitimement comme étant la condition de notre bonheur : un métier épanouissant, un mari ou une épouse aimant, une santé meilleure, de véritables amis, etc… Certes, tout cela est bon évidemment, mais ces éléments ne donnent pas, par eux-mêmes, la clé du bonheur.
Le vrai bonheur passe d’abord par l’accueil et le don de l’amour, ici et maintenant et par une expérience de confiance, qui fut d’abord celle de Jésus à son Père. Peu importe comment les choses se feront. En Dieu, la vie passera. Notre responsabilité est d’être tourné vers lui pour vivre de lui dès ici-bas.
Ne souhaitons pas pour nous, santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté, honneur plus que déshonneur, vie longue, plus que vie courte, et ainsi de tout le reste mais désirons et choisissons uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés.
saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels n. 23
La fin pour laquelle nous sommes créés, c’est de vivre de Dieu, qui seul peut nous apprendre à aimer pleinement et en vérité.
Les Béatitudes ne sont donc pas une liste de situations de faiblesse ou d’échec qui seraient magiquement renversées, ni la promesse d’un retournement dans un temps à venir qui serait comme une revanche future par rapport à un présent décevant. Les Béatitudes désignent un combat de l’esprit et du coeur, ici et maintenant – un combat qui se déroule en chacun, car il s’agit pour chacun d’accepter de voir le monde, les hommes et soi-même, avec ce regard intérieur qui se crée en nous à mesure que nous contemplons le Christ.
Les Béatitudes nous parlent, en effet, de ce qui, en chacun de nous, est en accord avec ce « Royaume » de Dieu où le bonheur n’est pas dans la richesse, ni dans la domination, ni dans la victoire sur les autres, mais bien dans la communion avec tous.
Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, font miséricorde, font régner la paix, ont le coeur droit et pur… Est-ce ainsi que nous vivons? De quoi sommes-nous témoins?
En regardant nos vies, je crois que nous nous rendons compte que « Heureux, malheureux », nous sommes un peu tout cela à la fois ; mais chacune de nos misères n’est que l’envers d’une Béatitude que Jésus nous offre. Alors, peut-être suffit-il pour la recevoir de remettre notre cœur à l’endroit.
« Heureux, malheureux », nous sommes un peu tout cela à la fois ; mais chacune de nos misères n’est que l’envers d’une Béatitude que Jésus nous offre. Alors, peut-être suffit-il pour la recevoir de remettre notre cœur à l’endroit. C’est ce que nous pouvons demander les uns pour les autres.