Un chemin de Carême: Cultivons la gratitude
En toute condition, soyez dans l’action de grâces. C’est la volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus (I Thessaloniens 5, 18)
Il y a quelques années, j’étais invité par les bouddhistes japonais Shinnyo-en à proposer une conférence sur la prière chrétienne dans le cadre d’une rencontre inter-religieuse à Tokyo. J’y découvrais l’importance de la gratitude et décelais le parallélisme avec l’action de grâce en christianisme.
Dire Merci pour être plus heureux.
La gratitude peut vraiment, en cette période difficile, faire l’objet d’une réalité à redécouvrir pour être plus heureux. Cela peut, en tous cas, avoir des effets bienfaisants en nous et même pour nos communautés. On peut dire merci pour bien des choses. Merci pour la vie. Merci pour les services que l’on me rend. Merci pour la foi que j’ai reçue. Merci pour l’amitié. La liste de choses dont nous sommes bénéficiaires est presque infinie et il est bon de s’en rendre compte.
Un exemple: ces jours-ci, il fait froid. Si le personnel communal n’était pas venu déneiger nos routes aux petites heures, la circulation serait chaotique. Avons-nous déjà pensé à la multitude de personnes qui nous facilitent la vie?
Des études sérieuses indiquent que lorsque les personnes sont dans un état de reconnaissance de sentiments positifs, l’impact sur la santé (pas seulement physique mais aussi psychique) est évident. Et cela contribue même à un allongement de l’espérance de vie. Incroyable non?
Un chemin de gratitude
Et il n’est jamais trop tard pour emprunter le chemin de découverte de la gratitude.
Reconnaître un bienfait reçu
Partons d’une situation concrète: un repas en famille. Posons-nous la question: qu’est-ce qu’il a fallut, en amont, pour que ce repas soit possible? Bien sûr, il y a ce qui s’est fait en cuisine, mais aussi le pain, le vin, les producteurs, les marchands. Et si on remonte la filiale, on peut même rendre grâce au Créateur lui-même. En faisant ce chemin de gratitude, on peut donc inviter à notre table (même si on est seul), Celui qui est à l’origine de tout don. C’est le sens du bénédicité que certaines familles proposent encore avant le repas ou des grâces après.
Saint Bonaventure, en parlant de saint François d’Assise disait qu’il voyait toute chose sortir de la main de Dieu.
Pour appliquer ce que je viens de vous proposer, je vous suggère quelques exercices concrets qui peuvent se vivre durant le carême qui est à nos portes.
- Je peux remplacer un acte de consommation par un acte de contemplation. Si je regarde un film (par exemple), je peux rendre grâce pour tout le travail des artistes qui ont permis l’oeuvre (il suffit de voir la longueur de certains génériques pour se rendre compte de toutes les personnes qui ont permis la réalisation du film). Je fais monter en moi la gratitude.
- Idem pour tous les moments de la journée. Les personnes que vous croisez, le temps qu’il fait. Observez le moment présent et soyez dans la gratitude.
Prendre conscience de la gratuité du don
En schématisant, on peut classer les personnes qui nous donnent un coup de main pour un déménagement (par exemple) en trois catégories.
– Il y a ceux qui, quand ils donnent, donnent véritablement sans arrière pensée (n’espèrent rien en retour).
– Il y a ceux qui aident mais qui apprécient qu’on les remercie et que l’on reconnaisse leur disponibilité .
– Il y a ceux qui, non seulement aiment qu’on les remercie mais aussi attendent qu’on leur renvoie l’ascenseur.
Plus on se sent en dette moins on ressent la gratitude.
Conclusion:
Donc, il s’agit d’entrer dans la joie du don sans attendre ni un merci ni un retour sur investissement.
Concrètement, encore un exercice.
- Quel est le petit cadeau que j’ai reçu (le sourire d’un collègue, une aide reçue pour ranger la maison, la bonne santé dont je bénéficie…) et que je vais goûter dans la gratuité? Je vais tâcher d’éprouver réellement la joie de l’avoir reçu.
Détailler le bienfait
Pour vraiment goûter la gratitude, il faut au moins remarquer cinq détails du bienfait. On préfère un bienfait dont on perçoit cinq effets positifs plutôt que cinq bienfaits dont on ne perçoit qu’un seul avantage. Exemple : Vous recevez un très beau sac d’un ami et vous ne vous y attendez pas. Exercez-vous à détailler les bienfaits.
1) cet ami tient à moi
2) ce sac est vraiment beau et me convient
3) cela tombe bien car j’en avais assez de l’ancien
4) je l’avais vu en vitrine mais je le trouvais cher
5) je vais pouvoir donner l’ancien à quelqu’un
Petit exercice :
- Quel bienfait vais-je choisir en prenant le temps de détailler pour pouvoir goûter cette gratitude (un par jour)?
- Et si je m’achetais un cahier de gratitude sur lequel tous les jours on écrira en détails ces cinq points qui vont faire monter ma gratitude?
Conclusion: Lorsque j’entre dans les détails du bienfait reçu, je peux déployer davantage la bonté en moi. La reconnaissance sera ainsi plus grande encore.
Goûter le don
Je ne sais pas si vous avez vu ce très beau film Des hommes et des Dieux… Il y a une scène au début où on voit Michaël Lonsdale échanger avec une jeune Kabyle.
– Et toi, tu as déjà été amoureux?
– Oh oui, plusieurs fois. Et puis après m’est arrivé un autre Amour, un plus grand Amour. Et voilà, j’ai répondu à cet Amour-là. Cela fait longtemps maintenant, plus de soixante ans.
On voit dans cette scène la gratitude de l’acteur qui se souvient de tous les bienfaits de Dieu pour lui. Ce qui est très beau, c’est que l’on voit aussi son visage change. En goûtant ce don, il y a une transformation intérieure. On voit que goûter le don, c’est savoureux. Vraiment, la reconnaissance transforme et en plus c’est contagieux. Car dans le film, on voit le visage de la jeune fille qui s’apaise car le soleil éclaire son visage.
Quand on prend le temps de ne pas seulement détailler avec sa tête le don reçu mais qu’on le goûte avec son coeur et son affectivité, on se rend compte que le don nous transforme beaucoup plus profondément.
On perçoit mieux que la gratitude, ce n’est pas seulement une reconnaissance qui utilise l’intelligence mais c’est d’abord un sentiment qu’on éprouve. Ce qui est transformant dans la gratitude c’est le sentiment qui est éprouvé. La preuve dans l’Evangile:
« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »
Evangile selon saint Luc 24, 32
Petit exercice :
On reçoit tous des cadeaux de la vie. Prenons le temps de nous arrêter et de sentir en nous-mêmes ce qui se passe. Et essayons de cerner la partie de notre corps en laquelle quelque chose se passe.
Le désir de faire de même
Imaginez la scène : vous êtes au restaurant. Vous avez bien mangé. Au moment de payer, vous demandez l’addition mais le serveur vous dit: c’est inutile, le couple qui vient de sortir a payé pour vous. Stupéfaction. Reconnaissance. Et bien si c’est ainsi, faisons la même chose pour les suivants. Et pendant tout le service, les gens reproduisent pour les autres le bienfait reçu du couple précédent. Et les derniers offrent un beau pourboire aux serveurs.
Nouvelle étape du parcours. Pas seulement reconnaitre le bienfait (l’intelligence) ou l’éprouver (l’affectivité) mais aussi agir. Lorsque nous recevons avec gratitude un don, il y a quelque chose qui jaillit du plus profond de notre être et qui est un don en retour.
En en fait tous l’expérience. On a observé que quand quelqu’un vous tient la porte en sortant, vous êtes mieux disposé à la tenir pour le suivant. Quand on a reçu et qu’on éprouve ce qu’on a reçu, on est enclin à un élan de générosité.
On peut bien sûr donner à la personne qui, elle-même nous a déjà gratifié ; on peut aussi donner en cascade à quelqu’un d’autre.
Petit exercice :
Qui allons-nous remercier aujourd’hui et auquel on ne pense pas spontanément: cela peut être le chauffeur de bus, l’éboueur, l’instituteur de mes enfants, etc…
La gratitude transforme
Il y a de ces gens qui, arrivés à un âge respectable, on de très belles rides car elles ont passé leur vie à sourire.
La gratitude est ce qui nous transforme le plus intérieurement, jusque notre corps lui-même. C’est comme cette publicité bien connue:
La reconnaissance n’est malheureusement pas encore ancrée chez tout le monde. Déjà dans l’Evangile, Jésus en faisait le constat:
Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » A cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés. L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Evangile selon saint Luc 17, 11-19
Tous ont été guéris mais un seul est retourné sur ses pas pour recevoir le don extraordinaire du salut. J’ignore si la proportion des 10 % est fiable mais reconnaissons-le, ce petit chemin que nous avons parcouru ensemble nous a montré que la gratitude doit s’apprendre car elle n’est peut-être pas chez nous spontanée. En plus, il ne suffit pas de dire « merci » pour que le destinataire du « merci » le perçoive réellement.
Lorsque nous faisons l’expérience que nous rentrons dans la gratitude nous nous transformons intérieurement mais même notre entourage se transforme.
Saint Paul nous donne ce conseil fort: soyez action de grâce, soyez eucharistie. Devenez louange… Et vous verrez à quel point c’est contagieux. Rien de tel pour vivre ce temps de carême dans le contexte de la pandémie.
Un conseil de lecture:
Excellent travail et tellement de vérités. La gratitude est l’état qui nous rend heureux, chaque jour que Dieu fait. Merci pour cette nature, merci pour le sourire de l’inconnu qu’on croise en rue, merci pour le toit qui nous permet d’être au chaud, merci pour la santé, merci d’être là… Merci Bryan pour ces mots qui réchauffent le coeur. Continues d’être un soleil pour tous. Que Dieu te bénisse.